On marronne? (Si ça te dit, viens)
« Quand nous nous comprenons entre humains, nous faisons un pas de plus vers notre humanité partagée ». Ces quelques mots font partie de ce qu’écrit Jazz Aline sur la prochaine saison du TCM, Dialogue. Ce choix de thématique s'est naturellement imposé grâce à la programmation de la saison 2023-2024. Il faut dire que les spectacles à venir sont voués à ça, provoquer le dialogue.
La lecture du synopsis du premier spectacle On marronne ? (Si ça te dit, viens) donne le ton. Comment nous identifions-nous auprès de «l’autre » de manière individuelle et collective ? À quelles racines sommes-nous réellement attaché·e·s ? Comment gérer ses anciennes et nouvelles relations lorsque nous choisissons de vivre dans un autre territoire? De ces questions découlent une multitude d’autres interrogations, dont la limite n’est fixée que par soi-même, et donc dans le cas de ce spectacle, par le public. Avant de voir On marronne, voici quelques pistes de réflexion destinées à penser le terme de marronnage.
Selon l'Académie de Guyane, ce terme fait référence aux formes de résistance pratiquées par les esclaves noirs et amérindiens face aux esclavagistes blancs. Dans un contexte de commerce triangulaire et de traite négrière, cette résistance reposait sur la fuite.
Le marronnage résonne particulièrement avec Adélaïde, personnage principal de la pièce On marronne. C’est elle qui fait ce choix si audacieux autant que périlleux de partir. Son histoire fait écho aux ouvrages Les métamorphoses du marronnage (2005) et Lignes de fuite du marronnage (2018) de l'auteur Dénètem Touam Bona, philosophe, artiste et anthropologue mahorais. Ce dernier identifie le marronnage sur une période allant du 15ᵉ au 19ᵉ siècle, comme un « phénomène général de la fuite des esclaves », pouvant être « occasionnel ou définitif, individuel ou collectif, discret ou violent […] alimenter un banditisme (cow-boys noirs du Far West, cangaceiros du Brésil, etc.) ou accélérer une Révolution (Haïti) ». De véritables « sécessions marronnes » avec les États esclavagistes verront ainsi le jour, particulièrement dans les Amériques, « cœur du système esclavagiste »¹.
C’est à travers ces résistances que se créeront des «sociétés marronnes » opposées aux États esclavagistes avec leur propre système politique, culture, religion et agriculture. En outre, la sécession marronne est l'aboutissement d'une « résistance culturelle à l'ordre esclavagiste », où la fuite et la guérilla constituent « la matrice d’une forme de vie singulière dont les vertus suprêmes seront l’autonomie et la furtivité ».²
La fuite et la guérilla seront donc constitutives au cheminement d’Adélaïde qui devra, de manière furtive, s’adapter à ce nouveau territoire et s’autonomiser en se constituant une nouvelle communauté. Cette recherche à l’adaptation dans un nouveau territoire se fait non sans risque, celui d’une métamorphose impliquant une dissolution et un effacement de soi.³
Ce spectacle n’a pas pour intention d’apporter des réponses prédéfinies et fixées dans le temps. Il apporte des pistes de réflexion à ce qui nous entoure et à nos questionnements. À nous de chercher à y répondre, ou de contempler nos interrogations.
Florent de Vellis
BIBLIOGRAPHIE
¹ TOUAM BONA Dénètem, « Les métamorphoses du marronnage »,Lignes, 2005/1 (n° 16), p. 36-48. DOI : 10.3917/lignes.016.0036.
² Idem
³ TOUAM BONA Dénètem, « Lignes de fuite du marronnage. Le «lyannaj » ou l’esprit de la forêt », Multitudes, 2018/1 (n° 70), p. 177-185.DOI : 10.3917/mult.070.0177.